LeMas26

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| Le siphon...

Mont Perdu 24 avril 2004.

Il y a beaucoup d'eau. Mais ça n'est pas extrême. Le matin entrainement eau vive dans la rivière Rio Bellos. Il y a moins d'eau qu'en septembre avec les stagiaires. C'est plus simple. Ateliers sympas. Toujours un regard sur ceux qui sont dans l'eau. Ca passe bien. On sort au pont.

J'ai accompagné Fred à son deuxième W-End du stage initiateur canyon. Il prépare le monitorat. J'ai plusieurs amis dans les stagiaires et dans les cadres.

L'après-midi atelier corde dans un canyon sec. Il rejoint le Viandico, canyon d'initiation assez aquatique. Il y a beaucoup d'eau, beaucoup de blanc. On peut passer au bord. On regarde bien et on prend les veines d'eau qui sont saines, on évite quand ça craint. Au milieu le sentier remonte. Je suis tenté d'aller au bout. Je ne le connais pas et j'aime tellement ça... On reste à quatre dont Fred.

On continue de bien analyser avant d'aller dans l'eau. Des fois on teste depuis l'aval. C'est ce que je préfère. Vive les "contres". On se tient tout près quand il y en a un qui teste. A un moment une veine d'eau a l'air bien sympathique mais on ne voit pas derrière. On monte sur un rocher à 3 mètres au dessus. C'est bon. Il y a même moins d'eau dans le déversoir. Ca m'étonne mais je n'en cherche pas la raison. Ca diffuse tellement de partout dans les rochers que ça arrive souvent. Je crois voir un bout de bois qui dépasse et je décide de passer devant pour tester et pour l'enlever que les autres puissent enchaîner. Le début de la veine sur le dos. Aucun problème. Je m'arrête devant le déversoir comme prévu et me mets donc debout pour nettoyer.

Immédiatement je suis aspiré au fond, plaqué debout au sol. Fortement. J'ai le sommet du casque quelques centimètres sous l'eau. Je sais instantanément que le chronomètre vient de se déclencher. Je lève aussitôt le bras et agite la main au dessus de l'eau. Calmement. Si ils ne me sortent pas de là je sais ce qui va m'arriver. Très vite deux mains passent sous mes bras. Fred a sauté de rocher à rocher. J'ai toujours souhaité qu'il soit là si un jour je devais me trouver dans une telle situation. Ca ne fonctionne pas. Je suis un peu allégé mais pas soulevé. L'aspiration est très forte. Les mains reviennent mais je ne sens rien qui me soulève. Je lève et bouge la main à nouveau. Le rocher que mes mains peuvent toucher est tout rond et si je lève une jambe pour essayer de me remettre à l'horizontale à la surface je serai aspiré aussitôt. L'aspiration est vraiment très puissante. Je manque d'air bien sûr. Ca se précise. Je vais dans les secondes qui viennent ouvrir la bouche en grand pour aller chercher de l'air et mes poumons vont se remplir d'eau. Les quelques instant qu'il y aura après cela je sais que je vais les vivre consciemment. Je vais mourir. Il n'y a aucun commentaire dans ma tête. Je ne m'en veux pas. Tout a été bien pesé me semble t'il. Il est juste resté les quelques pour cent  d'imprévu de toute activité engagée. Je me méfie tellement des drossages et des rappels d'eau que je me suis laissé surprendre par ce siphon. Je vais mourir comme beaucoup d'autres montagnards. Parce que ça n'est jamais du cent pour cent. En tout cas dans mes compétences. Il me manquait au moins cette expérience pour être vigilant avec justesse.

Tout cela prend une fraction de seconde pour être pensé. Je vis les secondes les plus lucides que je n'ai jamais vécu. Aucun commentaire, aucun jugement. Je vais dans quelques instant mourir coincé contre une branche au fond d'un siphon. Parce que je manque un peu d'expérience de ce type de piège. Dans ce type d'activité c'est le risque que prend celui qui passe devant. Je le sais. C'est logique. Suite à ça tous les autres en auront beaucoup plus d'expérience. J'ai moi même beaucoup appris avec tous les récits d'accidents depuis les débuts du canyon. Et toutes ces pensées sont toujours instantanées. Elles me traversent en un instant.

Aucun regret pour moi, aucun "c'est trop bête", aucun "je ne veux pas mourir". Je vais mourir, c'est sûr. Je pense à Louise, Fabien et Françoise. C'est pour eux qu'il est le coup dur. C'est pour eux que c'est vraiment dommage. C'est eux qui vont payer vraiment trop cher. Je commence à avaler de l'eau. J'ai attendu le plus possible parce que partir dans le siphon c'est perdre définitivement tout espoir venant d'en haut, des collègues.

C'est fini. Il faut y aller. Je joins très vite mes pieds. Je suis aspiré à grande vitesse. Rien qui ne me bloque, éjecté de l'autre côté du rocher, je vois le bleu en haut, plus aucune menace de coincement, je comprend que ce n'était pas le jour, que je vais rester vivant encore quelques temps, plus de force pour nager mais ça va le faire, je rampe sur le rocher, crache de l'eau, tousse fortement, c'est étonnant comme les forces reviennent vite avec les grandes bouffées d'air. Je regarde Fred. Il est très choqué. Il s'est fait mal à la main en sautant. Je tourne la tête pour regarder où sont les deux autres. Il n'y a aucun jugement ni dans mon regard ni dans ma tête, je suis catégorique. Je veux juste tout comprendre. Engranger les données de ce qui s'est passé...

Moins d'une minute après on repart. Pas un mot. Je ne le connais pas ce canyon. Je peux être amené à l'utiliser en encadrement. Je regarde à droite et à gauche tous les passages exactement comme je faisais il y a un quart d'heure. Vers la fin ça glisse. Attention.

On rejoint les collègues à la route. Je me change en silence. Aucune émotion. Ca n'était pas le jour. Est ce qu'il y aura un contre coup ? On verra bien.

Stef s'approche. Quelques mots gentils. Un grand sourire.

Fabrice s'approche. Il vit un épisode très difficile dans sa vie privée. Ils viennent de perdre avec Agnès deux petites jumelles presqu'à terme. Il a perdu plusieurs kilos. Il m'adresse un regard qui dit "oulala ça a dû être quelques chose..."

Puis c'est Umberto, Franck et Jean. Amitié silencieuse. Juste de l'écoute et un regard, un geste sur l'épaule ou un haussement de sourcil. C'est sobre. Pas un qui ne s'autorise un grand discours sur les siphons comme si lui il savait. Et pourtant il y en là qui ont un sacré bagage.

Le lendemain ils vont faire un canyon que je connais bien. Ca ne me tente pas. Je reviens ici au mois d'aout et je souhaite en connaître d'autres. Je ne le sais pas mais en fait ça tombe bien. Je décide d'aller faire le Lugar seul. Pas de souci d'eau. Cinq beaux rappels de 25-30 mètres. Il se jette dans le Yaga à la fin. Je ne le connais toujours pas non plus ce classique. Là il y aura beaucoup d'eau mais je peux marcher hors de l'eau me dit on.

Je réalise que je voulais savoir si j'aime toujours ça. Parce qu'on a rarement un deuxième avertissement. Et seul c'est bien. Hyper concentré, chaque pied posé l'est prudemment. Il ne faudrait quand même pas y prendre goût. Ca ne doit être qu'occasionnel un canyon seul. Et oui c'est bien. J'aime toujours autant installer des cordes, descendre en rappel, découvrir ce qu'il y a dessous. La lumière est très belle. Oui j'aime ça.

En bas je rejoins le Yaga. Il y a trop d'eau, j'évite. Ca ne m'empêche pas de l'apprendre. Et pour moi, seul, il est hors de question que je fasse un canyon très aquatique. Aux deux passages obligatoires dans l'eau il y a une grosse ambiance mais c'est sain. Petit à petit ça s'impose : avec des collègues on repasserait dans l'eau chaque fois que c'est possible, mais c'est clair je ne veux plus mettre des stagiaires dans de telles conditions. je ne veux jamais voir un de mes stagiaires dans la situation où je me suis mis hier.

Au corridor où ça se resserre je constate que la veine d'eau qui est devant moi ne pourra pas être remontée et je ne vois pas le mouvement d'eau suivant. C'est un coup à rester coincé. Je fais demi tour et sort du canyon. Qu'est ce qu'ils sont beaux les sentiers par ici...

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