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Aimer la nature c'est, éminemment, aimer l'homme. H.D.Thoreau

Pierre Lieutaghi, L'environnement végétal.

 Peut-on en vouloir à l'enfant dans un pré montagnard, qui rapporte de ses aventures, bien serrée dans ses bras, une vilaine botte de n'importe quelles fleurs cueillies n'importe comment mais qu'illumine, plus belle que Trolles et Narcisses, celle de son sourire ? Si toutes les fleurs du monde devaient mourir, que ce soit au moins pour de tels bonheurs. L'ignorance des enfants, pourtant, n'excuse pas celle des adultes : il est très facile de faire comprendre aux enfants que certaines plantes ne peuvent être cueillies en quantité : loin de leur apparaître comme une contrainte, cette discipline qu'ils s'imposent bientôt d'eux mêmes leur devient une voie d'accès à la connaissance des fleurs.  

Quand enseigner la retenue aux enfants à l'égard des choses de la nature n'est pas en faire des futurs timorés. Quand les conseils de modérations s'accompagnent d'une découverte de l'être protégé, l'intérêt prend vite le pas sur le désir stérile de saccage. Je plains les enfants des villes qu'on conduit au « défoulement » dominical dans les bois et les prés. On ne leur à pas appris que les relations entre l'homme et les êtres vivants, quels qu'ils soient, doivent commencer par le respect. Sauront ils jamais, devenus grands, que la possession du monde est d'abord un privilège de coeur ?

C'est par la seule amitié des enfants que la nature, demain, pourra survivre. Par leur exemple ou leur enseignement, les parents et les éducateurs ont toujours voulu former des maîtres inflexibles du monde. Et ces maîtres ont pillé la terre. Il est encore temps d'apprendre la connaissance respectueuse. Il en est juste temps. La ville édifie peu à peu autour d'elle des murs contre la tentation des oiseaux et des herbes, la tentation de la liberté. Je crois qu'il peut suffire d'un bouquet pour n'avoir jamais à redouter ces défenses insidieuses, d'un bouquet cueilli un jour d'enfance avec la joie de ne pas faire de peine au grand peuple des fleurs, d'être accepté par elles, d'être aimé du monde.


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Pierre Lieutaghi.

Les hommes n'ont pas compris l'importance de la nature. Sans une pensée de reconnaissance, ils lui demandent leur nourriture, leur boisson, leurs médicaments, leur bois, leurs habits, tout ce qui est nécessaire pour construire une civilisation où le mot nature n'a cours que sur les affiches des clubs de vacances. Repoussé d'un côté par l'avancée des villes, des industries, de l'autre par le désert que déroule derrière elle, en certains pays et même chez nous une agriculture inconsciente, le peuple des plantes s'essouffle. Rien qu'en France, plusieurs dizaines d'espèces se sont éteintes depuis un siècle et chaque jour pèse une nouvelle menace sur celles qui se maintiennent.

Qu'est ce qu'une plante sauvage, dont quelques dizaines de touffes, dans un creux de rocher, sont au monde les seules représentantes, pour celui qui ne voit dans le mot herbe qu'une façon de parler du menu quotidien des vaches ? Si l'on y réfléchit, c'est pourtant un crime majeur que de détruire l'une des expressions de la vie souveraine, non seulement parce que dans l'humble végétal qui meurt pouvait exister quelques propriété irremplaçable dont l'homme sage eut pu tirer parti, mais parce que nous avons été faits gérants d'une terre regorgeant de vie et de merveilles et que ce n'est guère répondre à la confiance qui nous fut accordée que de l'user jusqu'à la pierre plutôt que de lui faire, de nos mains d'homme, des manteaux de fleurs nouvelles.


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Pierre Lieutaghi.

La nature attend ses révolutionnaires. Ils auront peine à faire entendre leur voix car, contrairement à la plupart de celles qui résonnèrent dans les siècles, elle n'appellera pas à vouloir davantage, mais à être davantage.

Aussi longtemps que le quantitatif restera le dénominateur commun de tous nos actes, il sera inutile de parler de restauration de la nature. Seuls des hommes vrais, des hommes simples pourront se refaire une vraie Terre. Et tant pis si j'en arrive au sermon : des centaines de millions de cerveaux enregistrent bien chaque jour des prônes plus nuisibles que la drogue. Ce livre n'est peut-être qu'un moulin à prière dans le vent; il répète toujours la même chose. Les fleurs aussi répètent toujours la même chose; d'abord la vie, d'abord la vie, d'abord la vie. On n'écoute pas assez les prairies.  

A chaque pas, les plantes nous rappellent l'essentiel : l'être, la beauté. Elles sont une bonne mémoire de vérité. Puissent-elles entretenir toujours en nous le goût d'un monde où l'on peut sourire, où joie reste le mot clef. Peu importe, après tout, de savoir ce qui se cache sous le visage infiniment varié des corolles : les fleurs ne sont que prétexte à aimer; le reste est scientisme, ou vaines broderies.


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Jacques Lacarrière.

 Lorsqu'il y a quelques années, un éditeur me confia la direction d'une collection sur la nature, mon premier soin fut de rééditer un ouvrage introuvable qui avait fait le bonheur de mon adolescence : Pourquoi les oiseaux chantent, de Jacques Delamain. Soucieux d'ajouter à l'ouvrage un texte inédit ou oublié, je publiais donc à sa suite des extraits du journal tenu par l'auteur pendant la Première Guerre mondiale et notamment les pages consacrées à Verdun. Lecture surprenante, stupéfiante : au coeur du plus infernal des vacarmes et de la plus affreuse des tueries, au milieu du bruit des obus et de l'éclatement des bombes, l'auteur n'avait qu'un souci en tête : écouter et identifier le chant des oiseaux ! Car les oiseaux, ceux du moins qui se trouvaient survivre, continuaient de chanter imperturbablement entre deux attaques de bombes ! On trouve ainsi dans ce journal des remarques comme celle-ci : «Un obus vient d'éclater à quelques mètres de notre tranchée. La terre et la boue ont à peine fini de retomber qu'une mésange charbonnière entonne un chant d'amour de quelque invisible buisson.»  

Les amis à qui je montrais ce livre à l'époque eurent des réactions inattendues et très significatives. Les uns-un petit nombre-trouvèrent indécent ou au moins déplacé de s'occuper d'oiseaux alors que les hommes mouraient autour de vous comme des mouches. D'autres-plus nombreux-s'émerveillèrent au contraire de cette inlassable curiosité et surtout de cette capacité d'attention à la vie au coeur même de la mort.  

J'ai souvent repensé à ce livre et à ses anecdotes sur la guerre et les oiseaux. A l'enseignement implicite, inconscient même, qu'il nous donne : ne jamais abdiquer, surtout quand se déchaînent les haines, les guerres et les horreurs en tout genres, ne jamais abdiquer le goût et le désir du monde, même s'ils s'expriment sous des formes futiles en apparence. Mais les renforcer et prendre appui sur eux au coeur de la tourmente. Au sein de la pire détresse, ne renonçons jamais au chant d'un seul oiseau. Ce serait renoncer à nous-même. Notre monde regorge de technocrates et de politologues. Mais c'est d'ornithologues que nous avons besoin. Ne peut-on rêver à un monde, une Europe où ils seraient rois ?


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Alain Coccoz.

Rire, c'est risquer de paraître fou

Pleurer, c'est risquer de paraître sentimental

Rechercher les autres,

c'est s'exposer aux complications

Dévoiler ses sentiments,

c'est risquer de montrer sa vraie nature

Traîner ses idées, ses rêves devant la foule

c'est risquer de les perdre

Aimer, c'est risquer de ne pas être aimé en retour

Vivre, c'est risquer de mourir

Espérer, c'est risquer le désespoir

Essayer, c'est risquer l'échec.

Mais il faut prendre des risques, car ne rien risquer c'est hasardeux.

Celui qui ne risque rien, ne fait rien, n'a rien, n'est rien

Il peut éviter la souffrance et la tristesse

mais il ne peut apprendre le vrai sens des sentiments,

du renouvellement, de la sublimation, de l'amour de la vie.

Enchaîné par ses certitudes, c'est un esclave, il a abandonné la liberté

Seul celui qui risque est LIBRE.


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Si…          Rudyard Kipling, traduction de Jean-François Bedel (2006)

Si tu gardes ta tête quand la folie des autres,

S'acharne contre toi et te couvre de fautes

Si tu restes confiant, lorsqu'on doute de toi,

Et te veux tolérant, car l'opprobre est sans foi…

Si l'attente chez toi n'engendre aucun soupir

Que jamais médisances ne t'entraînent à mentir,

Ni qu'être détesté ne te force à haïr,

Sans de la perfection vouloir être l'image,

Ni d'aimer pérorer en imitant les sages…

Si tu gardes tes rêves sans n'être qu'un rêveur,

Évitant que penser devienne un but en soi…

Si tu peux accueillir l'Échec ou le Succès,

En faisant part égale à ces deux impostures

Si tu peux supporter que ta parole vraie,

Changée par des fripons serve aux sots de pâture,

Si l'œuvre de ta vie s'écroulant devant toi,

Tu ramasses aussitôt les morceaux sans rancœur,

Saisis tes vieux outils, et reprends le labeur…

Si tu peux mettre en jeu tout ce qui t'appartient,

Et en risquer l'enjeu d'un coup de pile ou face,

En ayant tout perdu, pourtant garder la face,

Repartir à zéro, sans un mot, ni chagrin ;

Si tu mets ton pouvoir, ton audace et ton cœur,

À servir ta cause, jusqu'à la dernière heure,

Ne pas abandonner quand plus rien ne subsiste,

En toi, que ce Vouloir, cette voix qui insiste,

Et qui te crie : « Tiens-bon ! gardes Force et Vigueur ! »

Si parlant à la foule, tu gardes ta droiture,

Accompagne les rois en sachant d'où tu viens,

D'amis ou d'ennemis, redoutes point l'injure…

Si, plus qu'un seul être, pour toi compte l'humain,

Et si face à ce temps à la fuite implacable,

Tu fais à chaque instant ce dont tu es capable,

Permettant que toujours tes travaux s'accomplissent,

Avec tout ce qu'il offre, ce Monde sera Tien…

Et, bien plus encore, tu seras un Homme, mon fils !


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Antoine de Saint-Exupéry.

 Le désert est beau, ajouta le petit prince.

Et c'était vrai. J'ai toujours aimé le désert.

On s'assoit sur une dune de sable.

On ne voit rien. On n'entend rien.

Et cependant quelque chose rayonne en silence...

Ce qui embellit le désert, dit le petit prince,

c'est qu'il cache un puits quelque part.

Il me semblait porter un trésor fragile.

Il me semblait même

qu'il n'y eût rien de plus fragile sur la Terre...

Je me dis encore

Ce qui m'émeut si fort de ce petit prince endormi,

c'est sa fidélité pour une fleur,

c'est l'image d'une rose qui rayonne en lui

comme la flamme d'une lampe, même quand il dort...

Et je le devinai plus fragile encore.

Il faut bien protéger les lampes :

un coup de vent peut les éteindre.


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Charles Gardou réhabilite la fragilité, extraits.

 Parfois nous sommes effleurés par l'idée que notre vie, celle des êtres que nous aimons, peut basculer. Nous la chassons en espérant échapper à la malchance, en nous évertuant à croire que les découvertes scientifiques, l'ingéniosité à dominer la nature vont triompher de cette épée de Damoclès. Or la fragilité n'est pas un danger extérieur, elle est l'essence même de la vie.  

Cette évidence retrouvée nous force à nous interroger sur le pragmatisme économique qui domine, sur le « marche ou crève ». Comment recréer des liens, autres que compassionnels, entre ceux qui sont les moins dotés et ceux qui s'imaginent être forts ? J'espère contribuer à faire comprendre que l'homme est d'autant plus fort qu'il se connaît et s'assume vulnérable. 

  

L'intelligence de la fragilité : elle consiste à admettre l'imperfection, le hasard et la mort, qui découlent de notre naissance même. A prendre acte que nous sommes faits de porcelaine et qu'un rien peut nous briser. Nous finissons tous par l'expérimenter. Nul renouvellement des idées, nulle refondation de la pensée ne se fera sans cette prise de conscience. Il nous reste donc à concevoir une autre façon de vivre avec, pour et à partir des plus vulnérables. 

Publie  Au nom de la fragilité, recueil de textes inédits de 30 écrivains contemporains, chez Erès, dans la collection Connaissance de la diversité.


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